By Scarlett Haddad - L'Orient Le Jour L'Orient Le Jour website
Provocateur, Michel Eleftériadès, le grand maître des nuits libanaises ? Oui, mais pas seulement. En lançant son spectacle « politiquement incorrects », qui se tiendra au Music Hall sur plusieurs semaines, il ne veut pas uniquement bousculer les habitudes de ses clients dans un lieu généralement dédié à la « night life », il a aussi un message à délivrer. Il sait ce qu'il risque à inviter dans sa boîte des personnalités controversées comme le comique Dieudonné (qui se produira le 22 février) ou l'avocat Jacques Vergès ou encore l'auteur Thierry Meyssan, le philosophe Tarik Ramadan, le metteur en scène Mathieu Kassovitz, pour ne citer que ceux-là. Mais il n'en a cure. Ce qu'il veut, dit-il, c'est donner une chance de s'exprimer à ceux qui sont interdits de faire entendre leur voix. Il s'élève ainsi contre cette tendance « à la pensée unique sous couvert du politiquement correct » et veut profiter et faire profiter tous ceux qui, comme lui, souhaitent entendre un autre son de cloche, de « l'espace de liberté » qui existe encore au Liban. Eleftériadès s'insurge contre le fait que, selon lui, 90 % des médias véhiculent la même pensée et sont coupables, dit-il, de ce qu'il appelle « le délit de faciès ». Son choix est donc délibéré et il explique que les autres comiques et personnalités de spectacle n'ont pas besoin de lui, ils ont accès à tous les médias. Mais ceux qu'il a sélectionnés, eux, sont boycottés par les producteurs. Il veut donc leur donner le droit à la parole.
Mais pourquoi utiliser sa boîte, célèbre pour ses soirées musicales de divertissement de qualité ? Michel Eleftériadès est conscient que cela pourrait lui faire perdre des habitués, mais il précise qu'il ne compte pas fermer sa gueule. Si, un jour, le politiquement correct changeait de direction et ceux qui sont loués aujourd'hui devenaient les pestiférés de demain, il serait prêt aussi à produire leurs spectacles. Chez lui, la diversité et la tolérance ne sont pas que des slogans, c'est une idéologie, qu'il a concrétisée à sa manière spectaculaire dans la création du « Nowheristan », cet empire mythique sans frontières qui regroupe des citoyens de tous les coins du monde, unis par un même désir de dépasser leur condition traditionnelle et les préjugés habituels, ainsi que par un souci de justice, « face à l'économie artificielle qui dicte aujourd'hui ses lois au monde ». Il ne faut surtout pas plaisanter avec ce qu'il appelle son grand projet. L'empereur du « Nowheristan », qui a un sens certain de l'autodérision, pousse jusqu'au bout son délire nowheristanesque. Ses tenues impériales, son siège à « L'Utopia Now », où même les portes des toilettes sont gravées du « N » impérial, ses sujets déférents et pourtant affectueux, tout est dédié à véhiculer son fameux projet d'un monde différent, régi par des règles particulières. Son empire, il l'a lancé sur Internet et il affirme avoir déjà plus de soixante mille Nowheristanais, contournant ainsi les veto. C'est d'ailleurs à travers cet immense réseau qu'il est entré en contact avec une partie de ses invités séduits par sa vision hors normes.
Mais sous le spectaculaire, destiné surtout à frapper les esprits, Michel Eleftériadès cache des cicatrices dues à la guerre libanaise, au cours de sa longue et parfois violente lutte pour la liberté. Dès l'adolescence, il a commencé à se battre sous toutes les formes possibles pour une cause qu'il croit toujours juste. Mais même dans son combat, il était différent de ses compagnons, courageux jusqu'à la témérité, inventif, rebelle. Contraint à l'exil, il s'est retrouvé sans le sou à Cuba et c'est là que par nécessité il a commencé à se lancer dans la création et la production de spectacles. Ayant choisi un créneau de divertissement, il s'y est lancé à fond, devenant un grand spécialiste du genre, mais gardant ce qu'on appellerait pudiquement son « originalité ».
Même après toutes ces années, Michel Eleftériadès continue à se considérer comme un militant. Aujourd'hui, son combat est dirigé contre les discours formatés et « bien-pensants ». « Même si l'on n'est pas convaincu, explique-t-il, il faut écouter tous les points de vue. D'autant que ceux qui continuent à développer des discours à contre-courant de la pensée générale paient souvent le prix fort pour leur choix et cela ne peut que susciter mon respect. Certains d'entre eux ont perdu un job, d'autres sont interdits de se produire et d'autres encore sont régulièrement convoqués devant les tribunaux. Ce que je voudrais personnellement, c'est réhabiliter leur droit à l'expression. C'est ma contribution à leur lutte. » Eleftériadès voudrait aussi montrer que le discours hostile aux politiques américaines et israéliennes n'est pas seulement tenu par des « barbus antisémites ». Il peut aussi être proféré par des personnalités de renom ayant toutes les caractéristiques de celles qui prononcent les discours contraires.
Ils doivent pouvoir trouver une place sans être récupérés par les mouvements islamiques ou par le fameux « axe du mal » défini par George Bush.
Mégalomane, Michel Eleftériadès ? Peut-être un peu, reconnaît-il, mais il ajoute que tous les grands mouvements ont commencé dans la mégalomanie. Et dans une pointe d'humour, il lance : « Mais le côté spectaculaire a déjà été utilisé par l'Église et les cérémonies religieuses en général. Je n'ai fait que suivre cette voie, en forçant peut-être la dose, car l'humour reste mon meilleur atout. » Puis, soudain sérieux, il déclare : « L'homme a besoin de quelque chose qui exalte la grandeur en lui, et moi, j'ai besoin de m'investir dans des projets pour surmonter mes blessures... » |